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Ce 26 juillet 2003, je lis dans un reportage de Pierre Foglia, dans la Presse de Montréal, à propos du tour de France: "Cela me fait penser que même s'il y a des milliards de paysages sur la planète, il n'y a que deux sortes de lieux. Ceux auxquels nous sommes attachés par des souvenirs d'enfance et les autres. On porte sur les premiers un regard tourné vers l'intérieur et sur les autres un regard panoramique. L'exacerbation du souvenir nous porte à revivre les premiers plutôt qu'à les voir, l'œil a moins de mémoire que le cœur. Le regard de l'étranger est souvent plus juste." Que cela est bien dit. Et que le lecteur se le tienne pour dit: je parle de mémoire (je n'ai plus vu mon collège depuis... cinquante ans), donc c'est mon cœur qui s'exprime.
Généralement un
collège, en tout cas pour ses étudiants, c'est la "boîte", plutôt hantée
de mauvais souvenirs ou de craintes enfantines, des punitions, des
examens, des murs où on étouffe. On s'y sent à l'étroit, on rêve de
vacances. Eh bien, Cost (dans notre langage ce nom était souvent synonyme
du collège), pour nous était différent. Non pas que nous ne rêvions pas,
nous aussi de nos vacances, mais pour les internes que nous étions ce cher
collège était le berceau de notre vie, le repaire de nos amis, le tremplin
de nos apprentissages, le bateau qui nous conduirait vers l'avenir.
Comprenez-moi. Pour des internes, leur collège ce n'est pas que les
classes et les profs, c'est aussi beaucoup plus : la camaraderie, les
récrés, les sports, les arts et le scoutisme (pour plusieurs), la vie
saine au plein air, la discipline, les découvertes. c'était toute notre
vie et malgré des temps plus durs, nous étions heureux. Notre collège
était grand et beau sous le soleil. Rien que la couleur claire de ses murs
chaulés ocre pâle différait totalement des gris ou rouge brique qu'on a
l'habitude de rencontrer en Belgique ou ailleurs. Le collège s'étalait sur
une colline, il dominait la ville et le lac!
LE COLLÈGE, vaste, lumineux...
Le collège, vu d'avion, c'étaient trois grands
carrés, posés côte à côte avec des jardins au centre. Étendu en surface.
Seulement un étage en plus du rez-de-chaussée. On construira un deuxième
étage dans l'aile des pères, (*ph.020, 009
et 022
) sur la façade ouest. Au centre de ces trois carrés,
quatre jardins intérieurs purement décoratifs et des barzas. Ce mot n'est
pas dans le dictionnaire, il faudrait dire vérandas. Bon ! Je dirai quand
même barza. Pardon ? Comment ? Ah ! vous vous demandez comment trois
carrés peuvent héberger quatre jardins, et vous avez bien raison. C'est
que le troisième carré, l'oriental, fut à son tour juste en 49 subdivisé
en deux parties, par l'érection d'une aile supplémentaire. CQFD. On
utilisait toujours en géométrie ce sigle de la sentence suivante "Ce Qu'il
Fallait Démontrer"..
Quand je suis arrivé en 49, il n'y avait pas encore l'aile supplémentaire de l'externat et du primaire (*ph.029). La longueur côté nord (côté du lac) abritait six dortoirs (*ph.038, 034) et deux autres nouveaux dortoirs pour les petits et tout petits viennent de faire leur apparition dans le dernier carré du côté est, comme je viens de l'écrire (*ph.002 et 006 ) . Sur le côté sud, il y a également la cuisine et le réfectoire des pères.
À l'est, nous avons la chapelle des boys, l'infirmerie et les prolongements de la grande salle. Au centre (entre les deux carrés de gauche (toujours en regardant vers le nord), la chapelle et le réfectoire au rez-de-chaussée (*ph.042, 031, 011, 012), à l'ouest l'aile des bureaux et des chambres des pères. Enfin la façade sud (avec les patinoires) était répartie en classes (*ph.026 et 027 ) et en salles d'études et, entre les deux patinoires, la préfecture et l'infirmerie sous la grande croix.
À l'extérieur, si nous reprenons le tour par le
côté nord, face à la cuisine: le local des louveteaux et des routiers,
avec à l'arrière le local de la troupe scoute (*ph.051) avec jardin et le
fameux champignon pour y étendre les tentes à faire sécher (*ph.621, à gauche). Un peu
plus à l'est les buanderies et plus loin, derrière, les boyeries. Côté
est, il y aura la grotte ND de Lourdes et la résidence des Frères
Maristes. Côté nord, sous les deux patinoires, de grands préaux avec une
kyrielle de cabinets de toilettes et les fontaines circulaires. Sous les
deux grandes volées d'escaliers montant aux patinoires, de chaque côté de
la préfecture, plusieurs réduits fourre-tout, où j'ai vu des vieilles
caisses, des planches remplies de clous, les réserves de ballons et de
patins de chaque division.. Attenant à la salle de gym, deux courts de
tennis en ciment et plus loin, viendra un terrain de basket. Vers 1951, en
prolongement de l'aile est, on construira, le long des tennis une aile
nouvelle destinée aux primaires et à l'externat. Et à l'extrémité sud de
cette nouvelle aile, sera la belle et grande bibliothèque Humanitas,
œuvre du père Dewolf, destinée avant tout à la ville, mais aussi, si je
me souviens bien, aux étudiants de rhéto et de poésie. Bien sûr, côté sud
s'étendait la grande plaine de foot, avec des terrains attenant. Enfin
côté ouest une autre grande plaine de foot (*ph.054
) qui sera réaménagée et fameusement
agrandie en 50.
Si nous nous éloignons un peu et regardons les environs, nous découvrons le lac (*ph.040, 041, 315), en contrebas du côté nord, plus à l'est on devine la Ruzizi puis le Ruanda. Face aux patinoires, côté sud, on peut voir la colline du CER et du camp militaire (*ph.047, 313). Et au loin, à l'ouest, la ville de Cost (*ph.054 ), qui deviendra Bukavu en 53.
Sa devise: "Stella duce", en latin, comme il se
doit (dans les coins supérieurs de chaque page, et
*ph. 104
). Littéralement cela
signifie: conduis, selon l'étoile. Nous disions: L'étoile te conduisant.
Sur l'écusson, nous avions une caravelle blanche sur fond marine et
l'étoile jaune. L'insigne des scouts pour marquer notre district du Kivu
était deux montagnes et un volcan se reflétant dans le lac.
Le collège était
aussi marqué du signe de trois animaux caractéristiques: la bohame ou grue
couronnée (*ph.105 ), parce que
l'une d'elle avait coutume de venir nicher aux alentours et se promener
sur les plaines pendant que les élèves suivaient leurs cours... Mais il y
aura encore le buffle et le lion. On ne peut parler du collège sans se
référer aux bucranes de buffles qui décoraient les murs nus et austères du
réfectoire. En fait ce n'était pas vraiment des cranes de buffles, mais de
nombreuses paires de cornes de buffles qui
ornaient le réfectoire et lui donnaient un cachet très colonial et
africain. Il y avait bien une vingtaines de paires de cornes, énormes
rattachées à une planchette et suspendues aux murs blancs du réfectoire.
Glorieux trophées de quelles chasses et de qui? Je ne l'ai jamais su... Il
faut enfin se rappeler des fameuses gargouilles de M. Nef (*ph.185), un vieux veuf
architecte qui fit les plans de cette énorme bâtisse et passait ses vieux
jours dans son collège et de temps à autre traversait la patinoire. Ces
gargouilles représentaient la tête d'un lion avec sa crinière assez
circulaire et se retrouvaient plantées tous les dix mètres sur le mur du
premier étage. Qui a été une fois au collège se souviendra toujours de ces
marques de fabrique comme autant de cachets ou de signatures
architecturales. (*ph. 031, 032, 135
)
Érigé pendant la guerre, le premier groupe de bâtiment est terminé en 44, 45., Le collège porte fièrement le nom de Notre Dame de la Victoire. Il fut construit en sections accolées pour contrer les effets des tremblements de terre fréquents dans cette région volcanique. Nous avions une ou deux petites secousses par an. Qui ne se souvient d'avoir vu trembler son bureau, alors qu'il était occupé à recopier un devoir ou à potasser une leçon? En fait le collège a une entrée officielle (au milieu de l'aile ouest, côté des pères)(*ph.022, 032, 040 et toutes les photos de classes et de divisions ) et une entrée principale: les deux volées de marches du grand escalier aboutissant aux patinoires, côté sud (*ph.004, 010, 018, 036). Mais en réalité on pouvait y rentrer par dix entrées plus petites, plus cachées. Une grande croix trône à dix-huit mètres de haut (*ph.007), près des casiers, au dessus de la cage d'escalier principal (*ph.048 ), face à l'entrée de la chapelle. De grandes barzas entourent les trois jardins et courent le long de presque tous les bâtiments. Ce qu'on y a marché en rangs et en silence! Enfin le bureau du père préfet (grand responsable de la discipline) se trouvait sous la grande croix, juste au milieu de la façade avant, entre les deux grandes volées d'escaliers et entre les deux patinoires. Il y avait encore un petit bureau pour le frère infirmier situé là quelque part, car facile d'accès. Enfin, sur le lac, en contrebas, à deux-trois cents mètres, nous avions notre piscine sans murs, avec plongeoirs, murets de remblai pour le déshabillage. Vraiment un collège royal, où nous menions une vie de princes.